~ Les Genitalia ~

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Depuis le début du 20ème siècle, les entomologistes ont à leur disposition des moyens de détermination des espèces tout à fait remarquables. Parmi ceux-ci on retiendra ceux qui se basent sur l'étude des structures génitales, plus ou moins sclérifiées, des mâles et des femelles. Ils ont été développés surtout à partir des années 1940.

Principes
Tous les individus d'une même espèce, tant mâles que femelles, présentent des structures génitales, ou genitalia, identiques pour chacun des sexes. Ces structures, typiques, sont différentes pour chaque espèce. Elles sont proches pour toutes les espèces d'un même genre, et très différentes pour les espèces appartenant à un autre genre, une sous-famille ou une autre famille. Les analyses de ces structures sont utilisées surtout chez les Lépidoptères, les Coléoptères, Les Orthoptères et les Diptères (Moustiques). Pour illustrer ce propos nous nous en tiendrons uniquement aux genitalia des Lépidoptères.
Ces structures sont référencées par rapport aux Lépidoptères ditrysiens femelles, c'est à dire ayant 2 orifices génitaux distincts, l'un pour l'accouplement et l'autre pour la ponte. Pour les papillons du jour, ou Rhopalocères, il peut y avoir de petites différences avec les Hétérocères, ou papillons de nuit, au niveau de certaines formations comme l'uncus (avec l'existence d'un super-uncus plus ou moins développé).

Les genitalia d'un mâle de Lépidoptère
Les pièces génitales, appelées aussi armatures génitales, sont situées à l'extrémité de l'abdomen, sur les derniers segments. Elles sont plus ou moins visibles selon les espèces. Généralement une paire de formations, symétriques, émerge. Ce sont les valves. Lors de l'accouplement, la femelle est fermement maintenue en place par trois processus externes du mâle : un crochet dorsal, l'uncus, et deux plaques latérales, les valves. Ces valves maintiennent latéralement l'extrémité de l'abdomen de la femelle, tandis que l'uncus s'insère dorsalement dans la membrane intersegmentaire du dernier anneau de la femelle.
 

Schéma de l'armure génitale mâle, en place
d'après Bayard, Encyclopédie entomologique Ed. Lechevallier

Sur ces structures sont insérés des muscles qui servent à l'accouplement. Le mâle, alors, introduit son pénis, ou edeage, dans l'orifice de copulation de la femelle, ou ostium bursae, et injecte ses spermatozoïdes par le truchement d'un spermatophore. Ce dernier, qui abrite les spermatozoïdes, est un conduit creux et gélatineux. Il glisse le long d'un canal appelé le ductus bursae, jusqu'à une sorte de sac appelé bourse copulatrice. De cette bourse une très fin canal, nommé ductus seminalis, amène la semence jusqu'aux ovaires. L'accouplement est long et peut durer plusieurs heures.
 

Schéma type des genitalia d'un Hétérocère mâle, ouvert, d'après Viette 1948

Les genitalia d'une femelle de Lépidoptère
La structure génitale de la femelle comprend des pièces externes plus ou moins sclérifiées que l'on appelle les plaques anté- et -postvaginales. Elles entourent l'orifice de copulation, ou ostium bursae. De cet orifice génital, part un conduit interne plus ou moins long et plus ou moins complexe, le ductus bursae, qui aboutit à une sorte de grand sac appelé bourse copulatrice. Sa forme est généralement oblongue, mais elle peut prendre des formes multiples, avec des diverticules plus ou moins longs et plus ou moins sclérifiés. Les parois de la bourse peuvent être minces ou épaisses, plissées ou lisses. Elles portent parfois des épines (signum) ou des zones sclérifiées garnies de nombreuses petites épines, plus ou moins fortes, appelées laminae dentatae.
De la bourse copulatrice ou du ductus bursae est issu un très fin conduit, le ductus seminalis, qui aboutit aux ovaires. Il permet aux spermatozoïdes de migrer pour féconder les ovules, à la demande de la femelle. Lors de l'étude des genitalia de la femelle, on observe souvent des vestiges de plusieurs spermatophores. C'est le résultat de plusieurs accouplements de la femelle durant sa vie éphémère qui dure environ 3 semaines.
La ponte se fait par l'orifice de ponte qui est encadré par deux processus appelés lobes de l'oviporus. Ces lobes membraneux sont couverts de poils sensitifs très nombreux qui aident la femelle à positionner ses oeufs sur la feuille de la plante hôte.
 

Schéma des structures genitales de la femelle
d'après Guillermet, 1996

Des exemples
Voici quelques exemples montrant les différences de formes dans les valves, l'edeage, l'uncus, la bourse copulatrice, le ductus bursae et les processus internes.
 

Dirades theclata 
(Guenée, 1857)
Uraniidae, Epipleminae
Genitalia du mâle
Hydrillodes uliginosalis
Guenée, 1854
Noctuidae Quadrifide, Herminiinae
Genitalia du mâle
Myhtimna borbonensis
Guillermet, 1996
Noctuidae Trifide, Hadeninae
Genitalia du mâle
Dirades theclata 
(Guenée, 1857)
Uraniidae, Epipleminae
Genitalia de la femelle
Hydrillodes uliginosalis 
Guenée, 1854
Noctuidae, Herminiinae
Genitalia de la femelle
Myhtimna borbonensis
Guillermet, 1996
Noctuidae Trifide, Hadeninae
Genitalia de la femelle

Les outils nécessaires
- Tout d'abord, une loupe binoculaire et son éclairage. Elle devra comporter divers grossissements, car les armures génitales varient en importance selon la taille de l'animal (1/4 de mm à 1 cm).
- Deux paires de très fines pincettes, pointues, afin d'attraper les tissus très fins. Prévoir une pierre à aiguiser afin de les affûter.
- Deux petites spatules en bois souple (faites avec des baguettes de "mikado", par exemple)
- Une multitude de petits flacons de 15 ml, portant un bouchon qui se visse.
- De petits cristallisoirs en verre, des verres de montre, de petits bécher et des pipettes en verre.
- Des étiquettes à coller sur les flacons.
- Un carnet de poche pour numéroter chaque flacon.
- Des étiquettes pour numéroter chaque insecte.
- Une chaufferette électrique pour chauffer la potasse ou la soude.
- Des lames et lamelles pour microscopie.
- De petites pissettes en plastique, et de petites seringues de 1 ml.
- Un torchon en lin et des "essuie tout".
- Des coffrets de rangement à rainures verticales pour les préparations microscopiques sèches et d'autres pour les préparations en position horizontale (pour le séchage).
- Une source de lumière, genre projecteur de diapositives, projetant les préparations microscopiques sur un plan de travail, pour les dessiner.

Les produits chimiques
- Du noir chlorazol pour colorer les genitalia. Ce produit est très cher et ne supporte pas la lumière. Il peut être remplacé par du mercurochrome (attention, pas d'éosine). Cependant pour la conservation des genitalia des types, il est préférable d'utiliser le noir chlorazol.
- Du baume du Canada (sorte de résine qui servira à monter les préparations entre lame et lamelle).
- Du toluène et des cristaux d'acide phénique pour déshydrater les préparations. Attention, ces produits sont très toxiques. Une bonne ventilation de la pièce où l'on procède est nécessaire. Les vapeurs de toluène sont très inflammables. Voilà une bonne occasion pour arrêter de fumer !!!
- De la postasse, ou de la soude caustique, en solutions saturées. Ces produits sont toxiques et brûlent la peau.
- Des gants de chirurgien éviteront bien des problèmes lors de la manipulation de ces produits chimiques.
- De l'eau, de l'alcool à 70°, 90° et absolu.
- Un flacon d'encre de Chine et le nécessaire pour s'en servir.

Les techniques employées
1- Le "potassage"
L'abdomen, détaché du corps du papillon, est mis à macérer dans un bain de potasse ou de soude caustique saturée, dans un petit flacon de 15 ml. Ces deux produits chimiques digèrent les graisses et permettent de repérer facilement les structures génitales. La potasse, ou la soude, est préalablement colorée avec du mercurochrome. Cette première coloration de l'abdomen, aidera à repérer les différentes pièces des armures génitales, parfois difficiles à distinguer des amas graisseux résiduels. A froid, le potassage demande de 3 à 7 jours, selon la grosseur de l'abdomen.
A chaud, quelques heures suffiront, en plaçant le flacon, bouché, sur une petite plaque électrique chauffante, dont la température ne devra pas excéder 70 à 80°. Eviter de faire bouillir la préparation, et attention aux projections dans les yeux ou sur la peau.

2- Le nettoyage de l'abdomen et l'extraction des pièces génitales
L'opération est délicate.
    - Elle consiste, tout d'abord à éliminer les poils et les écailles qui recouvrent l'abdomen. On se servira des baguettes de "mikado" dont une extrémité est taillée en forme de spatule. En tapotant l'abdomen avec ces baguettes, on parvient assez rapidement à découvrir la cuticule de l'abdomen. Elle est à conserver, car des caractères de systématique permettent de faciliter les déterminations.
    - En un deuxième temps, on repère la membrane latérale qui réunit tergites et sternites. Avec les pincettes métalliques, on déchire cette membrane, afin d'étaler la cuticule de l'abdomen et d'avoir accès aux pièces génitales. Cette opération est indispensable pour dégager les armatures génitales de la femelle. Celles du mâle peuvent être dégagées en saisissant l'uncus et en le tirant vers l'extérieur. Les valves sont alors complètement dégagées.
    - En un troisième temps, on enlèvera les graisses restantes, ainsi que les restes des divers organes de la digestion. La pré-coloration des genitalia permet de bien séparer les pièces génitales et d'éviter de les sectionner par inadvertance.
Cette opération se fera sous la loupe binoculaire, dans un petit cristallisoir, avec très peu d'eau (quelques gouttes suffisent).

3- Préparation et 2ème coloration des genitalia
Coloration au mercurochrome
On lavera plusieurs fois, à la pissette, les organes génitaux et la cuticule abdominale, dans de l'eau pure, avant de les laisser reposer dans un petit flacon de 15 ml, avec 1 ou 2 ml d'eau colorée au mercurochrome, pendant 24 heures. La coloration doit être assez vive. Le rapport 1ml de mercurochrome et 1 ml d'eau donne de bons résultats.
Coloration au noir chlorazol
Après le lavage en eau pure, les éléments à colorer sont passés pendant quelques instants dans les alcools (70° et 90°), puis on les immerge dans une solution alcoolisée de noir chlorazol, pendant 1 à 3 minutes selon la concentration. Puis on lave dans une solution d'alcool à 70° additionnée d'eau.
Attention, autant on peut éclaicir une préparation coloriée au mercurochrome par l'ajout de quelques gouttes d'une solution d'hypochlorite de sodium (eau de Javel), autant il est très difficile d'éclaircir une préparation traitée au noir chlorazol (la plonger pendant plusieurs heures dans une solution d'alcool).

4- Déshydratation des genitalia et montage entre lame et lamelle
Déshydratation
Dans un flacon de 15 ml on dissout, à saturation, des cristaux d'acide phénique dans du toluène. Cette opération engendre un abaissement de la température du toluène. Les cristaux d'acide phénique brûlent la peau. Il est indispensable de porter des gants de chirurgien pendant la manipulation.
Les genitalia et la peau de l'abdomen sont passés à l'alcool à 90° pendant quelques instants avant d'être plongés dans le toluène phéniqué. La déshydratation est effective en quelques minutes (selon la grosseur des pièces à déshydrater).

Montage entre lame et lamelle
Pendant la déshydratation on prépare lame et lamelle. On veillera à à ce qu'elles soient parfaitement propres, sans graisse ni dépôts. Le torchon en lin se prête bien à cette opération.
Après avoir placé une petite goutte de Baume du Canada au centre de la lame (diluée par l'adjonction d'une goutte de toluène phéniqué), on y dispose les armatures génitales et la cuticule abdominale. L'action du Baume tend à ramollir les pièces génitales et facilite leur disposition. On ouvrira les valves (si cela est possible), on disposera l'edeage sous l'armature génitale après l'avoir extrait de sa loge. C'est une opération délicate. Dans la mesure du possible, si cela est nécessaire, avec une petite aiguille montée sur une seringue, on développera la vésica pour en montrer les spicules et les épines.
Pour les genitalia de la femelle, on veillera à extraire de la bourse copulatrice les spermatophores, en l'incisant légèrement avec les pincettes.
La présence de bulles adhérent aux organes, indique un manque de déshydratation. L'adjonction d'une goutte de toluène phéniqué devrait régler le problème.
Au centre de la lamelle, on disposera une petite goutte de Baume du Canada mélangée avec du toluène. Elle sera retournée et appliquée sur la préparation. Il y a un coup de main à prendre......
Le séchage peut prendre plusieurs semaines. Chaque préparation microscopique est disposée à plat dans une petite boîte. Je me sers des petits ensembles en plastique, portant de nombreux tiroirs pour ranger vis, boulons et clous. C'est très pratique et pas cher !
Le séchage peut être accéléré en se procurant une petite étuve ou en bricolant une boîte en bois portant des clayonnages de séchage. Une petite ampoule de 5 à 10 watts sous 220 volts disposée à l'intérieur de la boîte assurera le chauffage. La température sera modulée en ouvrant plus ou moins le couvercle de la boîte !

Les étiquetages
Chaque insecte dont on aura enlever l'abdomen devra porter un numéro de genitalia et la date de l'opération. Ces renseignements seront portés sur un carnet où chaque page portera le numéro des genitalia. On y dessinera à main levée les détails ou l'attitude générale de la préparation. Ce numéro sera reporté sur le flacon de potassage, ainsi que sur la lame. Sur cette dernière on ajoutera le nom de l'insecte, le nom du préparateur et la date de préparation. Par précaution on ajoutera les indications entomologiques classiques, telles que le site et la date de capture. Toutes ces inscriptions se feront, de préférence, à l'encre de Chine.

Dessins des structures génitales
La préparation microscopique, quel que soit son état de séchage, est mise sous le projecteur à dessiner. On dessinera les contours, les traits bien marqués, mais pas les détails. Le reste se fait à la loupe binoculaire. On se fabriquera un étalon de mesure en découpant dans une règle plate en matière plastique transparente quelques éléments gradués. Le millimètre est l'unité de mesure. Cette unité de mesure devra être portée sur le dessin, par projection.

Bibliographie
Je n'indiquerai que deux publications. Elles devraient vous suffire pour mener à bien vos manipulations. Seule la pratique permet de trouver des solutions aux problèmes techniques rencontrés.
- Carayon Jacques - "Emploi du noir chlorazol en anatomie microscopique des insectes", Annales de la Société Entomologique de France, (N. S.), 5 (1), 1969, p. 179 à 193.
- Gibeaux Christian - "Les Genitalia mâle et femelle ; Les principaux noms utilisés dans leur étude (Lepidoptera)", Ent. gall. 1 (2), p. 110 à 115.

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